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Hoppi
2 mars 2010

Lecteurs constipés, s'abstenir !

jepensedonc

Vous allez croire que je suis obsédée par le thème mais nous revoici dans nos latrines modernes. Si, si, mais laissez-moi vous expliquer un peu…

Alors que je trônais dans les commodités tous conforts de mon homme, mon esprit étronnait des pensées entortillées sur la prochaine thématique que j’allais aborder ici. Peu à peu, la chose prenait forme.

Je me souvins de l’été passé à Toulouse. Je me souvins du petit bambin, P., affairé sur le pot, concentré et imperturbable. Je me souvins de son regard sérieux, les joues rougies par l’effort. Le petit poseur de rondins ne bronchait pas d’un poil malgré nos rires répétés. Comme spectateurs, il n’avait que des femmes, sa mère et ses amies, réunies pour une semaine. Impressionnée par sa force mentale - P. avait alors 2 ans -, je conclus alors par une sentence que je vous livrerai à la fin du post.


Du symbolisme tout puissant de la digestion et de la défécation, résultat obligé !


Je me garderai bien ici d’adopter une attitude psychanalytique, que nenni ! Je veux simplement citer deux extraits de la grande littérature française qui transitent du haut vers le bas, de la bouche au sphincter, comme si l’inspiration et l’expiration, dans sa forme la plus primale, étaient liées.


Commençons par le plus moderne, qui nous fait voyager jusqu’au bout d’une caverne peu ordinaire.

À droite de mon banc s’ouvrait précisément un trou, large, à même le trottoir dans le genre du métro de chez nous. Ce trou me parut propice, vaste qu’il était, avec un escalier en marbre tout rose. J’avais déjà vu bien des gens de la rue y disparaître puis en ressortir. C’était dans ce souterrain qu’ils allaient faire leurs besoins.

[…]

Autant là-haut sur le trottoir ils se tenaient bien les hommes et strictement, tristement même, autant la perspective d’avoir à se vider les tripes en compagnie tumultueuse paraissait les libérer et les réjouir intimement.

Les portes des cabinets largement maculées pendaient, arrachées à leurs gonds. On passait de l’une à l’autre cellule pour bavarder un brin, ceux qui attendaient le siège vide fumaient des cigares lourds en tapant sur l’épaule de l’occupant en travail, lui, obstiné, la tête cripsée, enfermée dans ses mains. Beaucoup en geignaient fort comme les blessés et les parturientes. On menaçait les constipés de tortures ingénieuses.

[…]

Ce contraste était bien fait pour déconcerter un étranger. Tout ce débraillage intime, cette formidable familiarité intestinale et dans la rue cette parfaite contrainte !


Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, éd. Gallimard, Paris, 1952.


L’extrait est celui d’un court voyage, reflet du long périple qu’effectue le héros du début à la fin du roman. Il arrive ici à New York et découvre les toilettes publiques. Sans décortiquer le texte, le rapport dehors - dedans est évident. La transition est suggérée par cet escalier rose presque organique. Chez Céline, qui prend en horreur le genre humain, le corps est sale. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est plus l’idée de métamorphose entre les hommes stricts du haut et les travailleurs fécaux du bas. Cette caverne est le lieu d’un renouveau entre la mort des blessés et la vie des parturientes. Le vide succède au plein : on attend le trône un cigare à la main (je n’oserai dire au bord des lèvres, mais c’est bien là ce que suggère l’auteur) et ce n’est pas anodin. La description n’est pas poétique, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, l’acte se fait dans la gaieté et la légèreté, si bien qu’au dehors, les hommes peuvent prendre leur posture de businessmen. Le héros, en revanche, remonte abasourdi : il est resté spectateur sans jamais passer à l’acte. Pas de renouveau possible, pas d’espoir non plus…


Quatre siècles plus tôt…


Comment Gargantua naquit de bien étrange façon


Pendant qu’ils tenaient ces menus propos de beuverie, Gargamelle commença de se trouver mal du bas. Aussi Grandgousier se leva de dessus l’herbe et il la réconfortait fort civilement, pensant que c’était le mal d’enfant, et lui disait qu’elle s’était mise au vert sous la Saulaie et que pour peu elle serait sur pied […].

Peu de temps après, elle commença à se lamenter et à crier. Aussitôt, arrivèrent en masse des sages-femmes de tous côtés ; la tâtant par en dessous, elles trouvèrent quelques morceaux de peau, d’assez mauvais goût, et elles pensaient que c’était l’enfant : mais c’était le fondement qui lui lâchait, par le relâchement du gros intestin – que vous appelez boyau culer –, pour avoir mangé trop de tripes, comme nous l’avons dit plus haut.

Alors une vilaine vieille de compagnie, qui avait la réputation d’être guérisseuse, venue de Brisepaille d’auprès de Saint-Genou depuis soixante ans, lui administra un astringent si terribles que ses sphincters furent si obstrués et resserrés que nous ne les auriez pas élargis même avec les dents – ce qui est chose bien horrible à imaginer [….].

Cet obstacle fit se relâcher, au-dessus, les cotylédons de la matrice, par où l’enfant jaillit, entra dans la veine cave et, grimpant par le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules, où ladite veine se sépare en deux, prit le chemin de gauche et sortit par l’oreille gauche.


Rabelais, Gargantua, éd. Pocket, Paris, 1992.


On remonte le temps et c’est volontaire. En effet, on fêtait mardi gras il n’y a pas quinze jours et je voudrais aborder la thématique d’un point de vue carnavalesque (une approche de médiéviste).

Je m’explique très brièvement, Mikhaïl Bakhtine s’est intéressé à l’œuvre de Rabelais par le biais de la culture populaire au Moyen Âge. Cette étude, très critiquée par les médiévistes et les seiziémistes, n’en est pas moins pleine de bon sens. Au Moyen Âge, aujourd’hui encore d’ailleurs, le carnaval est jour de fête bien sûr, mais aussi de renouveau. Or cette « révolution » est symbolisée concrètement par des inversions flagrantes :

- le bouffon prend la place du roi

- le corps, dans toute sa crudité, est voué au culte

- le banquet et surtout l’acte de manger (et ce qui s’ensuit) est le centre des activités

- le diable prend une dimension comique

- des vêtements sont portés à l’envers, etc.

Dans ce texte, le rapport bas-haut et mort-vie est transparent. Le lien est tellement étroit que l’on confond la naissance et l’activité du gros intestin – la mère a trop mangé. Et comme si le bas suggérait la mort, la naissance de l’enfant se fait dans une logique toute carnavalesque (grotesque et parodique) vers le haut, par l’oreille gauche. Au Moyen Âge, la gauche est perçue comme diabolique.

Ainsi entre défécation et confection de son bébé Gargantua, Rabelais accouche de son œuvre en narguant les ecclésiastiques et les sorbonnards, qu’il n’estime guère.

Je pourrai citer encore bien d’autres références… Mais de haut en bas et de bas en haut, j’ai à peu près fait le tour des commodités et comme dirait Descartes – c’est la fameuse sentence prononcée à Toulouse :


Je pense donc je chie !

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Commentaires
H
Ah merci, je me suis dit après que personne n'allait lire ça juste qu'au bout. Pourtant, j'ai tenté de simplifier et de faire au plus bref. Enfin, vaste sujet ! :)
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A
Très chouette post, c'est appréciable d'avoir de la littérature et des illus ;-)<br /> La gauche jugée diabolique (sinister en latin non? déjà tt un programme): lors de la crucifixion le Christ était accompagné du bon et du mauvais larron. En iconographie, le mauvais larron était déjà représenté à la gauche du Christ au Moyen Age...<br /> Bon, moi ça m'a donné un peu envie de penser tout ça :-) ...
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Hoppi
  • Des projets illustratifs mêlés de textes. Des styles qui varient selon l'humeur. Un lieu de partage, alors n'hésitez pas à y laisser un peu d'encre :) Les illustrations ne sont en revanche pas libres de droit. Merci de me demander mon autorisation.
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